Article écrit par Francis Léonesi (photo ci dessus), joueur de l'open de Gournay 2025
"J’ai commencé à l’ami mai mes Echecs nomades.
Dans tous les sens du terme puisque je perds souvent ! Je participe à différents tournois autour de Paris et sa région. Voire dans les régions proches. Ayant une tente de toit, j’y
associe les joies du camping, dormant au-dessus de ma voiture.
En fin de semaine dernière, au début de mon second tournoi, à Gournay en Pays de Bray, près de Beauvais, m’est venue l’idée d’interviouver un joueur particulier. Puis celle de
consigner mes impressions à l’occasion de mes déplacements échiquéens.
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Tufek Ababsa a 46 ans. Il joue aux échecs depuis son adolescence. De forte corpulence, classé 1618, le président du Rouen échecs porte des lunettes de soleil en toute saison
et en tous lieux. Nulle vanité chez lui - c’est un être affable et sympathique. Une nécessité, plutôt. Tufek est mal voyant.
C’est un ami aveugle qui lui a enseigné les règles et les bases du roi des jeux. Il n’avait jamais vu un échiquier auparavant. Son in rmité visuelle l’a frappé lorsqu’il avait 10
ans.
Comment se déroule une de ses parties ? Il joue avec un échiquier adapté. En braille. «Le mien est de petit format, mais je compte bientôt en acquérir un de plus grand format.
Ce sera plus confortable et plus pratique.» Chaque pièce, chaque élement se fiche dans les trous de chaque case. Les blanches sont en creux, les noires en relief. Les Noirs ont un «clou» (sic) sur leur sommet - un picot métallique, pour être plus technique. En somme, Tufek voit avec ses doigts. Son adversaire, lui, joue face à l’échiquier de la partie commune.
C’est lui qui y déplace les pièces de son opposant. Les deux joueurs sont décalés. Tufek utilise également une pendule adaptée, munie d’écouteurs et homologuée bien sûr. Une
voix synthétique lui indique le temps écoulé. Avant le début de chaque ronde, l’arbitre prend le temps d’expliquer à chacun de ses adversaires les conditions dans lesquelles leur
partie va se dérouler. Il leur précise bien que les écouteurs ne donnent qu’une indication de temps, de durée de jeu. «Il arrive parfois qu’un joueur mal veyant triche un peu. Mais
c’est très rare.» Si Tufek note ses parties, à l’aide d’un dictaphone, pour en garder une trace. Il avoue qu’il ne les analyse pas beaucoup.
Pour être ouvert à l’accueil de joueurs handicapés - son club offrant toutes les accessibilités - Tufek n’a pas l’âme d’un militant. Animer personnellement des séances d’apprentissage aux échecs pour non voyants ne le motive pas spécialement. «Mais le club n’exclut pas, n’empêche pas cette initiative. En ce qui me concerne, il m’arrive de faire
des présentations ponctuelles du jeu. Pour une animation complète, je n’ai pas le temps».
En effet, Tufek est journaliste. Son domaine, le sport. Animateur radio depuis 25 ans, il réalise des podcasts. Ses «Parcours de femmes» tracent le portrait de sportives à
travers le monde. Chaque épisode est bien suivi. Et à retrouver sur fdsprod.com.
Concentration, mémorisation et visualisation mentale sont les clefs de sa pratique échiquéenne.
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Benjamin Marret est abitre international.
Dès la première ronde du tournoi de Gournay en Pays de Bray sa tenue vestimentaire surprend. Un sweat- shirt blanc aux larges bandes noires verticales le désigne
comme le maître des jeux qui vont débuter. Ce que confirme l’inscription qui couvre ses épaules : ARBITRE.
On est tout d’abord amusé - pour ma part, séduit - par ce trait d’humour. Puis on réalise combien ce signe est efficace. Les deux opens se déroulant sur plusieurs salles, les
joueurs repèrent tout de suite à qui s’adresser en cas de nécessité. Avouons-le, la communication est probante. Je regrette que cela n’ait pas été approuvé par la fédération lors
d’un récent Top 16 qui se déroulait à Chartres (pépinière de champions échiquéens), pour qui l’arbitre, c’est : costume-cravate ! De même que pour beaucoup de gens sur-
intentionnés la musique classique ne peut se concevoir sans smoking ni grande robe, ainsi les échecs officiels ont-ils besoin de solennité. Formalité qu’un récent champion du
monde a bien failli payer d’une élimination d’office pour ne pas s’y être plié.
Pour la petite histoire, Benjamin s’est inspiré de la tenue des arbitres de hockey sur glace. «J’ai fait faire mon sweat aux USA».
Francis Leonesi
01 juin 2025
Echiquier du pays de Bray